En octobre 2015, suite à plusieurs années d’explorations, nous avons décidé avec le groupe de l’atelier d’écriture à l’Institut Pacheco de tenter une nouvelle aventure : écrire ensemble une pièce de théâtre.
– La création du texte –
Par où commencer ? La création de personnages ? Le choix d’un lieu ? Nous convenons de démarrer par le lieu. Un lieu où il y aurait du monde. Je prends note des idées qui fusent : la Grand Place de Bruxelles un 21 juillet, le Carnaval de Binche, l’Institut Pacheco, un café de la rue Vanderkindere à Uccle… Jean-Jacques suggère : « Et pourquoi pas Blankenberge ? Dans mon enfance, j’y passais chaque année les deux mois de vacances dans l’appartement de mes grands-parents. » Colette : « Moi j’ai rencontré mon mari à Blankenberge ! » Alain : « J’y allais m’amuser sur la plage et danser dans les discothèques, comme au dancing Le King, par exemple. » Presque chacun·e de nous avait des souvenirs liés à cette station balnéaire. C’était le lieu idéal pour nous lancer.
Immédiatement sont apparues différentes envies : évoquer le passé, écrire des histoires imaginaires, dénoncer la mauvaise nourriture servie au home. Il n’était pas nécessaire d’en choisir une seule, a priori toutes ces pistes pouvaient s’agréger.
Le texte s’est construit progressivement à partir de premières consignes telles que : ce qui vous passe par la tête quand vous entendez « Blankenberge », écrire un souvenir vrai ou inventé à Bankenberge. Au départ, les évocations, les souvenirs. Ensuite, l’invention de personnages, monologues, dialogues, situations. Un monde a commencé à se créer par petites touches, un schéma s’est dessiné dans lequel sont apparus des manques à combler. Chacun pouvait s’emparer de personnages créés par d’autres.
Les manières de créer ont varié : le plus fréquemment les auteurs écrivaient seuls dans leur carnet, mais le texte a aussi été nourri d’écritures collectives (écriture et lecture à voix haute au même moment permettant à la personne suivante de prendre la suite), de discussions, de phrases pêchées au vol et d’improvisations orales.
Après un long séjour imaginaire dans la ville côtière, nous sommes revenu·e·s dans les murs de Pacheco pour aborder le sujet qui revenait constamment dans les conversations : la nourriture. Alors que nous évoquions les délices des boules de l’Yser vendues sur la plage, Colette a déclaré : « Ils en donnent comme dessert à Pacheco mais c’est de la merde ! » et Serge a renchéri en prenant l’accent parisien : « Un cuisinier français dirait C’est de la merde ! » Sur ce thème, le groupe a improvisé des dialogues que j’ai notés et nous avons modifié les paroles de la chanson Milord chantée par Édith Piaf pour la transformer en chant contestataire.
Quand s’est achevée la phase d’écriture, j’ai agencé la matière récoltée, construit, découpé, sans retoucher les textes. Qui connaît Colette, Jean-Jacques, René, Alain, Serge et Karine pourra les retrouver entre les lignes, sur les lignes, dans les styles, les sujets, les expressions, les espaces et les respirations que leurs écrits charrient.
Présenter le résultat d’un processus fait émerger quantité d’interrogations. Comment rendre compte de ce qui a été vécu ? Comment garder un ancrage dans le parcours ? Comment transmettre au-delà du produit final les sous-couches, les échanges, les errements, les dépassements qui l’ont rendu possible ? De mon point de vue, le texte Boules de l’Yser porte en lui ces multiples dimensions. Il porte en lui la personnalité de chacun des auteurs ainsi que l’espace collectif où ils se sont rencontrés. Il porte en lui six années d’ateliers et constitue une savoureuse manière de conclure.
– La lecture du texte –
Une fois le texte réalisé, il a été réparti entre les différentes personnes du groupe et nous lui avons choisi un titre : Boules de l’Yser. Nous avions imaginé que tou·te·s les participant·e·s de l’Institut Pacheco seraient présent·e·s jusqu’au mois de mars 2017 mais ce ne fut pas le cas. Dès la mi-novembre, plusieurs personnes ont été relogées dans d’autres homes bruxellois. Avec Marie Camoin et Patricia Balletti, chargées de la coordination, nous nous sommes arrangées pour aller les chercher dans les différents lieux et faire en sorte de réunir tout le monde dans le local habituel à l’Institut Pacheco pour les temps de répétition.
Nous avons alors travaillé sur les intonations, les rythmes, l’écoute de l’autre dans les dialogues, les regards, les intentions, les temps de respiration… ainsi que sur la justesse et la progression des interventions dans le chant final. Petit à petit la mise en voix prenait forme, trouvait une fluidité et une variété dans les expressions.
En tant que regard extérieur, le directeur artistique du Théâtre Les Tanneurs, David Strosberg, a notamment donné des indications permettant de clarifier qui prenait la parole (un·e participant·e s’exprimant en son propre nom ou au nom d’un personnage de fiction) et a pris en charge la partie de Colette qui, suite à son déménagement dans un établissement éloigné de Bruxelles, ne pouvait plus être présente aux répétitions (mais elle est venue assister à la lecture publique).
Les dernières répétitions ont eu lieu au Théâtre Les Tanneurs avec la prise en compte des aspects pratiques et techniques : mise en place des tables, chaises, lumières, micros et décision des places qu’occupera chacun·e. La lecture publique a eu lieu le jeudi 16 février 2017. Elle a été précédée d’une rencontre avec le comité des spectateurs du Théâtre et suivie d’un drink accompagné de… boules de l’Yser.