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Ricochets à Ursulines et Pacheco

Les ateliers « Jeux d’écriture » étaient en principe prévus pour une durée de 3 séances de 3 heures. Ils se sont déroulés au sein de groupes très variés d’enfants, d’adultes et de personnes âgées. Deux de ces groupes ont exprimé leur manque d’activités stimulantes et leur désir intense de continuer. C’est ainsi qu’à partir d’octobre 2010, des rendez-vous réguliers ont été mis en place à la maison de repos et de soins “Aux Ursulines” et à l’Institut Pacheco.

L’esprit des ateliers consistait à prendre un temps collectif d’explorations, à s’aventurer sans avoir peur du jugement ni d’un regard extérieur. Expérimenter ensemble et partager les découvertes, les impressions, les questionnements, constituaient alors les seuls objectifs à atteindre.

Je retrouve des mots oubliés, je suis en compagnie et je fais partie de l’univers.

René, pour le groupe de l’Institut Pacheco
(exergue du livre Jeux d’écriture)

Tenir à l’écart tout type de pression

Il existe dans la galaxie des ateliers d’expression, et des ateliers d’écriture notamment, un dogme : montrer ses réalisations à un public permet de recevoir une reconnaissance, d’en retirer une certaine fierté et d’accroître ainsi la confiance en soi. Je ne nie pas que cela puisse être le cas. Mais j’ai senti la nécessité à une époque de m’extraire de cette injonction et de défendre un autre point de vue : il existe différents chemins pour nourrir la confiance.

Ainsi par exemple : oser se lancer • petit à petit apprivoiser la peur • prendre du plaisir à échanger avec d’autres dans un climat où le jugement n’a pas sa place • sentir qu’on progresse • se surprendre et surprendre les autres participant·e·s • parvenir peu à peu à donner soi-même de la valeur à ce qu’on crée.

Outre l’envie de focaliser toute l’attention (la mienne et celle des participant·e·s) sur ce qui se passait durant l’atelier, ma volonté initiale de ne pas exposer les productions à un regard extérieur était liée aussi à la nature même de ma démarche. C’est-à-dire ? J’invitais chacun·e à s’aventurer sur les chemins des sons, des associations, à se laisser guider par les mots sans se préoccuper du résultat. Pour préserver une certaine cohérence, je ne pouvais dire à la fois « le résultat n’a aucune importance, c’est l’expérience vécue qui est centrale, vous pouvez vous lancer, y aller en toute confiance  » et « à la fin de l’année nous présenterons les textes à un public ». Ce qui m’importait, c’était de soutenir, accompagner, amplifier la sensation de liberté des participant·e·s et de tenir à l’écart tout type de pression.

Écrire des mots insensés qui me viennent, qui tombent sous le sens de la girouette de mes idées passagères non censurées, libre de mes mots jetés sur le papier au hasard des détours labyrinthiques, mythiques chez Laurent, pendant que Nicole tricote des mots à la dentelle, Catherine de sa voix suave nous fait voyager sur les vagues de ses limbes et Laurence telle une libellule à dix pattes butine dans la marre des mots aléatoires choisis au compte-gouttes.

Valérie, pour le groupe de la maison de repos et de soins
« Aux Ursulines »
(exergue du livre Jeux d’écriture)

Les ateliers « Jeux d’écriture » ont ainsi eu lieu au départ sans la moindre visibilité extérieure, avec le soutien permanent de Patricia Balletti, en charge des relations avec le quartier et les écoles au Théâtre Les Tanneurs, de la direction du Théâtre et du CPAS de la Ville de Bruxelles.

Sortir au grand jour

Prenant part aux ateliers quand elle en avait la possibilité, Patricia Balletti propose en 2011 de faire voir ce qui s’y accomplit à l’extérieur, hors des murs où nous avions l’habitude de nous retrouver. Afin de permettre à cette démarche de sortir au grand jour et de faire connaître son existence au-delà d’un cocon protégé.

Après de multiples discussions et réflexions, j’adhère à cette suggestion. Pourquoi ? Je l’explique sur la quatrième de couverture du livre : « Afin de communiquer la saveur de se laisser emmener là où notre volonté n’a plus ni carte ni boussole. Afin de faire connaître cette matière singulière, étonnante, née dans la prise du risque d’avancer vers l’inconnu. Afin de transmettre la jubilation de sortir des carcans, des schémas préétablis, de la logique habituelle et continuer à poser la question : quand nous sortons de cette logique, est-ce que plus rien n’a de sens ou est-ce que d’autres sens peuvent exister ? » En d’autres mots : afin d’élargir la marge d’un interstice bouillonnant, vivifiant.

L’idée est soumise aux participant·e·s au home des Ursulines et à Pacheco. Toutes et tous sont partant·e·s pour faire connaître leurs textes au dehors. Commence alors le processus de création du livre Jeux d’écriture, publié aux Éditions du Cerisier en 2013.

Les ricochets

La sortie du livre a été l’occasion pour le Théâtre Les Tanneurs d’organiser, le 4 février 2013, une journée de réflexion sur la médiation culturelle intitulée « La médiation culturelle : effet de mode, mission ou nécessité ? ». Durant cette journée, un moment a été consacré à la lecture d’extraits par les auteur·rice·s et un autre à la présentation du livre.

Suite à cette première lecture de février 2013, les deux groupes ont été invités à se réunir en septembre lors de la Fête des Saltimbanques organisée par le Centre Culturel Bruegel. C’est ainsi qu’en septembre 2013, 2014 et 2015 ont eu lieu sur la place de la Chapelle des lectures publiques de textes réalisés dans les ateliers au home des Ursulines et à l’Institut Pacheco.

En 2015, les ateliers prennent fin au home des Ursulines mais une nouvelle aventure commence à Pacheco : la création collective d’une pièce de théâtre. Une année de rencontres donneront naissance à Boules de l’Yser qui sera dévoilée au public lors d’une lecture au Théâtre Les Tanneurs le 16 février 2017. Une manière savoureuse de conclure six années d’ateliers.