D’octobre 2006 à mai 2007 se sont tenus des LABOS, rendez-vous réguliers centrés sur le processus d’écriture. À la fin du parcours, des photos de textes, mots, expériences graphiques… ont été prises et j’ai décidé de réaliser un album à partir de ces photos.
J’ai commencé à les coller dans un carnet XL CANSON 30 cm x 30 cm en octobre 2007.
Au deuxième jour, le terrorisme mental de la critique était déchaîné. J’étais face à la 12ème photo sur laquelle apparaissait le mot « tsunami » écrit en majuscules. Bloquée par le flot ininterrompu et violent des critiques intérieures : « Ce n’est pas du tout original ta manière de coller ces photos, c’est trop simple ! Tu pourrais être plus créative ! C’est nul ! Qu’est-ce que c’est banal comme manière de faire ! D’autres feraient beaucoup mieux que toi ! » etc. etc. etc. Plus aucun plaisir, blocage complet.
J’ai pris un bic vert et sur la page où était censée être collée la photo j’ai commencé à écrire : « Le TSUNAMI c’est reprendre sa putain de liberté, c’est sortir de l’écrasement, de l’étouffement, du « beau », du « joli », du paraître, du résultat, du regard de l’autre, des autres, de « l’autre » en soi — Le TSUNAMI c’est dire NON c’est dire merde c’est cracher ne pas accepter s’insurger sortir des sentiers battus des sentiers balisés du propre du bien choisi de toutes ces voix mortelles qui contrarient notre besoin pulsionnel spontané créatif — Le TSUNAMI c’est … » et j’ai continué à écrire, écrire, écrire, j’ai rempli toute la page, puis la suivante et celle d’après, j’ai crié NON, j’ai hurlé sur le papier puis à la quatrième page est arrivé « Maintenant, voilà, maintenant voilà venu le temps de coller la photo du TSUNAMI et je la colle ici » avec une flèche vers la photo collée.
C’était le premier pas. J’ai continué à coller et commenter, à dire MERDE ! et VOS GUEULES !!!!!, à mettre de la distance, de l’humour, de l’élan, du brut, du souffle, des feux d’artifices. Je me suis amusée. J’ai retrouvé de l’air. J’ai collé comme ça me plaisait. J’ai écrit entre autres « Se méfier du beau de la recherche du beau du « vouloir BIEN FAIRE » virus envahisseur qui anéantit les forces créatives, qui empêche d’être ». J’ai collé écrit collé écrit collé écrit dans un combat pour respirer. Je suis passée du vert au rouge, du bic au gros marqueur à l’alcool.
Après deux jours, la centaine de photos était collée. J’ai écrit et dessiné le jour suivant. Exprimé la dureté de cette lutte contre l’écrasement. J’ai arraché la page d’un dessin jugé « moche », l’ai froissée et mise à la poubelle. Puis je suis allée la rechercher. L’ai défroissée. L’ai replacée dans le carnet en décidant qu’aucune page ne serait jetée. Que tout ce qui allait se déposer sur ces feuilles aurait le droit d’exister.
J’ai continué le jour suivant, puis le suivant. J’ai constaté que la lutte contre le piège du VOULOIR FAIRE BEAU demande certaines ruses. J’ai mis en place des éléments essentiels :
- Attirer l’attention sur des objectifs précis avec des consignes qui n’ont rien à voir avec le résultat. Par exemple, en ce qui concerne les carnets, je me suis proposé un cadre simple :
– y laisser une trace chaque jour (que cela dure 1 minute ou 10 heures peu importe)
– commencer par indiquer le lieu et la date pour signifier « ici, aujourd’hui, voilà ce qui est », loin, très loin de la démarche qui consiste à dire « attention, je dois produire une œuvre d’art »
– ne jamais arracher de page : tout ce qui est déposé sur la feuille est le bienvenu, est accueilli et c’est mon regard qui s’adapte à ce qui échappe à ma volonté. - Utiliser un matériel qui ne mette aucune pression. Par exemple, j’évite les beaux carnets qui créent la sensation que le résultat doit être à leur hauteur.
La visite quotidienne des carnets a duré 4 ans et 5 mois sans interruption. Je m’étais dit que le jour où j’oublierais d’y aller le fil serait cassé, la continuité rompue et j’arrêterais. Ce serait la fin d’une règle et peut-être le temps venu d’en inventer une nouvelle.
Parmi les dessins réalisés chaque jour pendant 4 ans et 5 mois, j’en ai sélectionné 100. Si vous souhaitez en voir davantage, n’hésitez pas à m’en faire la demande via la page contact.